Meurtre dans les dunes de Carcans 2/5 : « Un mode opératoire d’une cruauté absolue »

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L’autopsie de la jeune Suissesse est requise en urgence. C’est la règle en matière criminelle, mais le contexte rend cet impératif encore plus évident. Dans un village côtier envahi chaque jour par 35 000 vacanciers, la nouvelle d’un tueur en liberté aura tôt fait de déclencher une psychose générale, d’autant que le risque de récidive est démultiplié par le nombre et la diversité des proies. Les enquêteurs doivent aussi composer avec la date du crime qui complique leur travail. Le meurtre a forcément été commis entre le vendredi 4 août, à 18 h 30 – Silja est vue pour la dernière fois au camping – et ce samedi 5 août, vers 13 h 45 – le touriste hollandais découvre le corps –, autrement dit en plein chassé-croisé de l’été. Des témoins directs ou indirects de premier ordre ont peut-être déjà plié bagage, sans parler du meurtrier lui-même.

Le motif sexuel s’éloigne

Le corps est transporté en fin d’après-midi à l’hôpital Pellegrin de Bordeaux où l’autopsie débute le lendemain matin. Les deux médecins légistes notent rapidement la présence de points de pression sur le cou et la nuque. Du sable en quantité obstrue les voies respiratoires de la bouche aux bronches. Il n’y a pas d’autres traces apparentes de violence. Conclusion : le meurtrier a maintenu la tête de sa victime dans le sable avec force jusqu’à l’asphyxie. Ce mode opératoire d’une cruauté absolue n’est pas le seul motif d’étonnement. Peu avant sa mort, Silja a eu un rapport sexuel, ce que laissait supposer le bas du corps dénudé. Sauf que, a priori, il n’y a pas eu viol. Ou du moins, aucune marque ou lésion caractéristique d’une relation contrainte n’est observée. Le mobile sexuel, qui paraissait de loin le plus crédible, s’éloigne. S’il était identifié, le partenaire en question ne serait pas rayé de la liste des suspects pour autant : il a pu avoir un rapport consenti avec Silja avant de commettre le crime. Mais alors pourquoi l’avoir tuée ? À moins que le partenaire et le meurtrier soient deux individus différents sans lien entre eux. Plus de soixante prélèvements biologiques sont réalisés sur le corps. Les écouvillons sont envoyés dans un laboratoire bordelais pour analyse ADN en même temps que les vêtements et effets personnels appartenant à la victime. Les résultats sont prévus pour le lendemain.

Lisez la première partie : Meurtre dans les dunes de Carcans 1/5 : « Silja avait 18 ans »

En attendant, l’enquête de terrain démarrée dès la découverte du corps s’intensifie le dimanche. La modeste brigade de recherche de Lesparre, chargée des investigations, peut compter sur l’aide des limiers de la prestigieuse section de recherche de Bordeaux. La petite station balnéaire, d’ordinaire si paisible, se pare de bleu. Une équipe dédiée au camping relève l’identité des occupants des 350 emplacements. Une autre se rend sur la plage interroger les vacanciers. Une troisième arpente l’allée centrale du bourg pour auditionner les commerçants. À chaque fois, la même photo exhibée, celle de Silja, et les mêmes questions : avez-vous déjà croisé cette jeune femme ? Si oui, où et quand ? Sinon, avez-vous remarqué quelqu’un ou quelque chose de suspect ces dernières quarante-huit heures ? Même sans profil ADN à ce stade, l’optimisme est permis. D’après l’autopsie, le meurtre de Silja s’est produit entre le vendredi 4 août, à 19 heures, et le samedi 5 août, à 9 heures du matin. Profitant du cadre naturel préservé et de longues journées d’été, une fraction significative des 35 000 estivants journaliers est susceptible de flâner jusque tard le soir et tôt le matin, y compris aux abords de la dune.

Etablir l’emploi du temps de Silja

L’autre priorité est d’établir l’emploi du temps de Silja dans les heures et les jours précédant sa mort. Le récit des parents Trindler et de leur fils David aux gendarmes est riche de détails. Il éclaire aussi la personnalité singulière de leur grande fille : solitaire, contemplative et, par-dessus tout, imprévisible.

Originaires d’un village proche de Zurich, les Trindler sont arrivés au camping de Carcans le 24 juillet. C’est la troisième fois qu’ils viennent en vacances dans cette station que des amis leur ont vantée en habitués. Ils couchent tous dans la grande tente familiale orange, même si, au début du séjour, Silja dormait dans son hamac à proximité. Cadette d’une fratrie de quatre dont elle est la seule fille, la lycéenne a accepté à la dernière minute la proposition de ses parents de passer l’été en France. Dès le premier jour, elle a prévenu sa mère qu’elle ne se ferait pas d’amis. La famille passait l’essentiel de ses journées à la plage. Silja se baignait rarement, préférant s’asseoir sur le sable pour observer le vol circulaire des mouettes, un oiseau peu commun en Suisse qui exerçait sur elle une étrange fascination. Peut-être parce que le caractère du volatile, qui vit en groupe mais y cultive une certaine indépendance, ressemblait au sien. Elle aimait faire de longues promenades à vélo sur la piste cyclable qui part du camping et serpente à travers les pins. Souvent, pour descendre au village, elle s’asseyait sur le porte-bagages derrière son petit frère. Sa silhouette gracile, ses grands yeux bruns profonds, son air mutin, presque enfantin, attirait les regards. Quand un garçon l’abordait, elle l’éconduisait en faisant passer David – qu’elle dépassait d’une tête – pour son petit ami, ça l’amusait beaucoup. Au camping, elle façonnait des compositions végétales miniatures avec de la mousse, des pommes de pin et des cailloux. Les petites œuvres achevées ressemblaient à des couronnes de Noël. Elle photographiait les plus réussies avec l’appareil jetable qu’elle trimballait partout.

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Le soir du mardi 1er août, fête nationale suisse, les Trindler ont dîné aux Mouettes, le restaurant de la place du village. Ils ont ensuite improvisé un feu de joie sur la plage, comme le veut la tradition helvétique. Durant la nuit, peinant à trouver le sommeil, Silja a exprimé le souhait d’aller au bord de l’eau. Sa mère a proposé de l’accompagner, et toutes deux sont parties avec leur duvet jusqu’au petit matin. Le mercredi, après une halte au marché, la famille a passé l’après-midi à la plage. En rentrant au camping vers 18 h 30, Silja, soudain d’humeur sombre, s’est confiée à son petit frère. Elle avait remarqué que les deux jeunes Français d’une vingtaine d’années qui occupaient l’emplacement voisin lui lançaient des regards suggestifs. Parfois, ils zippaient et dézippaient la fermeture Èclair de leur tente de manière intempestive, un gimmick qu’elle interprétait comme un appel du pied à les rejoindre. La nuit, le sommeil à nouveau chahuté, elle s’est rendue avec son duvet au bord de l’océan, seule, cette fois.

« Les gens me regardent comme une folle »

Jeudi après-midi, Silja a fait une balade à vélo d’une vingtaine de kilomètres avec son père. « Je suis heureuse d’être avec toi car je me sens épiée », a-t-elle confié. Ulrich n’a pas relevé. En fin de journée, tous deux sont allés à la plage, mais au lieu de se baigner, Silja a rempli son journal intime, une habitude qu’elle avait délaissée depuis le début des vacances. « Les gens me regardent comme une folle », s’est-elle plainte à haute voix. « Mais non, c’est ton imagination », lui a répondu son père. Tous deux ont ensuite fait des courses alimentaires au village, où Silja s’est attardée seule. En revenant à la tente en fin d’après-midi, elle était passablement énervée. Elle tenait à la main une bouteille d’eau remplie de sable qu’elle a violemment jetée au sol. « Qu’est-ce que tu as ? » a plusieurs fois demandé son père, recueillant la même réponse : « Tu sais ce que j’ai. » Il ne savait pas.

Le soir, peu avant le coucher, Silja a commencé à démonter la tente. Elle voulait que la famille dorme dehors afin que tout soit prêt pour partir à la première heure le lendemain matin. « On ne part pas demain, mais samedi », a rappelé Ulrich en l’interrompant. Excédée, Silja a passé le reste de la soirée dans la tente voisine d’un couple de Français, avec qui les Trindler avaient sympathisé, avant de regagner la tente familiale pendant la nuit.

À son réveil, le vendredi, douze heures avant sa disparition, Silja est retournée seule à la plage, toujours aussi énervée. Il était seulement 6 heures et il pleuvait. Elle est rentrée deux heures plus tard avec des coquillages dans la main et une plume de mouette dans les cheveux. Elle s’est alors assise dans la tente et s’est mise à taper sur un djembé acheté quelques jours plus tôt au village. « Fous-moi la paix », a-t-elle lancé à son père inquiet. Pendant le déjeuner, Silja est restée dans la tente à pleurer. En début d’après-midi, elle s’est soudain rapprochée d’un groupe de quatre étudiants parisiens arrivés deux jours plus tôt sur l’emplacement contigu. Elle les a ensuite accompagnés au bord de l’eau, puis est réapparue au camping vers 18 h 30. David, qui somnolait dans la tente, était le seul membre de la famille présent. De meilleure humeur, elle a demandé à son petit frère la clé de l’antivol attaché aux vélos, mais il ne l’avait pas. Alors elle est partie à pied, sans dire où elle allait. Personne ne la reverra vivante. Durant la nuit, quand les Trindler chercheront leur fille à la lampe torche, Ulrich trouvera sur la plage quatre pommes de pin disposées en rond entourant une plume de mouette fichée dans le sable.

Une femme en train d’écrire dans le sable

La première piste sérieuse ne tarde pas. Le dimanche, à 10 h 40, tandis que l’autopsie de Silja était toujours en cours, un touriste allemand s’est présenté à la caserne de Carcans. Heinrich, 45 ans, avait entendu parler de l’histoire de la jeune campeuse tuée, et pensait pouvoir aider les enquêteurs. Le vendredi vers 19 h 30, alors qu’il se promenait sur la dune avec son épouse, il a aperçu une jeune femme accroupie en train d’écrire dans le sable. Elle se trouvait au pied de la dune, à l’orée de la forêt, et paraissait rêveuse. Au même moment, un jeune homme portant un sac en bandoulière est apparu sortant de la forêt à quelques mètres en contrebas de Silja. Il a grimpé la dune, et, arrivé à son sommet, s’est retourné en direction de la fille accroupie. Il l’a longuement observée. Au regard porté sur elle, on aurait dit qu’il la voyait pour la première fois. Sa description physique et vestimentaire correspond en tout point à la Suissesse.

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Deux gendarmes ont aussitôt emmené le témoin pour localiser l’endroit où s’est produite la scène. Le touriste allemand a stoppé le véhicule pile à mi-chemin du lieu de découverte des baskets rouges et de celui où reposait le corps. Sur un coin de sable intact, les militaires ont repéré une série d’inscriptions obscures écrites avec les doigts en capitales d’imprimerie. L’une d’elles, isolée des autres, commençait par « H » et « E ». Deux autres lettres suivaient, plus difficiles à déchiffrer. Les enquêteurs ont pris des photos, examiné l’inscription sous toutes les coutures. Sans être formels, ils ont pensé deviner le mot complet : « HELP ».

Cäcilia Trindler n’était pas de leur avis. Quand les gendarmes lui ont présenté les clichés, la mère éplorée a reconnu l’écriture de Silja et le mot qu’elle avait tracé. Ce n’était pas « HELP », mais un nom commun allemand : « HEXE ». Sorcière.


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