


Mélanie peut être fière de sa saison. À sa troisième place aux Championnats du monde s’ajoutent deux médailles d’or aux barres asymétriques et au sol lors des Internationaux de France, le 17 septembre. Depuis notre dernière rencontre il y a deux ans, la jeune femme s’est métamorphosée. Elle a progressé techniquement, bien sûr, mais a surtout gagné en confiance. D’un naturel réservé, Mélanie nous accueille sans une once de timidité. Legging, sweat gris, baskets stylées et manucure rouge, elle est « chill », comme elle dit. « Petite, j’étais un robot. J’étais fermée, je ne souriais pas, je recherchais le résultat. Plus je grandissais, plus on me disait : “Mel, amuse-toi, tu as l’air triste !” Maintenant, quand je participe à des compétitions, je me demande, à la fin, si j’ai pris du plaisir. J’essaie de kiffer. » Renforcement, étirements, répétitions, précision, témérité. La gym est une discipline exigeante qui fait souffrir les corps et pousse le mental dans ses retranchements. Mélanie ne cache pas qu’elle a mal partout, mais ajoute : « Quand j’ai terminé le mouvement, je me dis que la sensation est incroyable. »
© Dorian Prost
Aux barres, on a vraiment l’impression de voler, on reste en l’air plus d’une seconde en faisant des rotations, c’est fou ! Peu de gens peuvent ressentir ça, sauf peut-être dans des manèges. » Alors que l’image de Nadia Comaneci, gamine prodige au visage grave, instrumentalisée par le régime de Ceausescu, a marqué l’imaginaire collectif, la Française veut incarner un autre modèle. « La gym, avant, c’était très militaire. Comme ce qu’on voyait dans les reportages sur les entraînements des Chinoises : des filles toutes petites, menues, qui ne mangeaient pas et travaillaient je ne sais combien d’heures par jour. Maintenant, les physiques ont changé, mais aussi les performances. Aujourd’hui, les filles font ce que les garçons faisaient à l’époque de Nadia. » Très tôt, Mélanie a montré des aptitudes pour ce sport, improvisant des saltos en se jetant dans la mer depuis un ponton, chez elle, en Martinique. Surtout, elle a toujours été grisée par ce petit frisson de peur, celui qui noue le bas du ventre et fait transpirer les paumes. « Quand j’étais petite, je me suis fait mal en sautant d’un balcon. J’aimais faire des trucs dangereux. J’adore cette sensation de peur, le fait d’être dans le flou quand j’apprends un nouvel élément. »
© Dorian Prost
Pourtant, comme beaucoup d’athlètes, elle a connu un « coup de mou » après ses derniers jeux Olympiques. Les JO de Tokyo, où elle s’est classée onzième, n’ont pas été le moment de gloire attendu. « Je ne me suis pas fait plaisir. C’étaient des Jeux sans public à cause du Covid et l’ambiance n’était pas là. En plus, j’étais blessée. » Après la compétition, elle a fait un break de neuf mois en Martinique. Une parenthèse pendant laquelle elle s’est demandé s’il fallait continuer. Dire qu’à ce moment-là l’intervention de la championne Simone Biles, star incontestée de la discipline, a changé sa vie serait romancer le réel. Mais il est vrai que l’invitation de l’Américaine, qui lui a proposé de participer au Gold Over America Tour aux côtés d’autres gymnastes internationales, a changé la donne. Loin des carcans stricts des compétitions, cette tournée de gala à travers les États-Unis a été l’occasion de réinventer les codes de la gym à grand renfort de costumes, de maquillages, de chorégraphies et de jeux de lumière. Le tout sans notes ni classement, juste pour le plaisir d’un public survolté comme dans un concert pop. En interview, Mélanie dit souvent que quitter son île à l’âge de 12 ans pour venir s’entraîner à Saint-Étienne a été la meilleure décision de sa vie. Choisir de quitter la France pour rejoindre le centre d’entraînement de Houston, aux États-Unis, en avril 2022, a été sa « deuxième meilleure décision ». Au Texas, elle rejoint les coachs français Cécile et Laurent Landi, mais aussi Simone Biles, surnommée The Goat (« The Greatest Of All Time », la meilleure de tous les temps). Sa métamorphose, c’est en partie aux États-Unis qu’elle la doit. « J’adore la mentalité américaine, parfois un peu too much. Même si tu fais un entraînement pas ouf, on te dit que c’est génial. Ce n’est pas toujours honnête, mais ça booste ton estime. Et quand tu es sportif aux États-Unis, tu te sens important. En France, si tu n’es pas footeux, on ne te reconnaît pas plus que ça, alors qu’être gymnaste là-bas, c’est comme être Mbappé ! »
Avec son nouveau préparateur mental, Mélanie travaille sur l’aspect psychologique, essentiel si elle veut briller en 2024. « J’ai intégré dans ma routine le self talk : la façon dont on se parle avant une compétition a un effet incroyable. Si on se met devant un agrès en se disant qu’on ne va pas y arriver, ça a un impact. » Pour progresser, elle peut aussi compter sur les conseils de Simone Biles, véritable mentor aux vingt-trois médailles d’or en Championnats du monde. En déclarant forfait aux jeux Olympiques de Tokyo, l’Américaine a brisé le tabou sur la santé mentale dans le sport. Elle a également témoigné devant la justice après avoir été agressée sexuellement par Larry Nassar, ancien médecin de la Fédération, qui a fait plusieurs centaines de victimes parmi les gymnastes de haut niveau. « Je la vois un peu comme une grande sœur. Même si on n’a que trois ans d’écart, elle a vécu beaucoup plus de choses que moi. Je n’apprécie pas seulement sa gym, mais aussi son humilité, sa façon d’être. C’est une fille simple qui n’en fait pas trop », assure Mélanie. À l’aise avec ses coéquipières américaines, elle s’amuse de l’image qu’elles lui renvoient, celle de la french girl, toujours stylée et à la pointe de la mode. « On s’est chacune approprié un animal, et elles m’ont comparée à un cygne, c’est plutôt flatteur ! »
© Dorian Prost
Les Américaines ne sont pas les seules à reconnaître son charisme. Comme une poignée d’autres athlètes français, Mélanie a été choisie comme ambassadrice Dior par LVMH. Une fierté pour cette fan de mode, qui suit une formation en stylisme par correspondance et réfléchit à une future carrière dans cet univers. Des justaucorps strassés sur les podiums aux tenues Dior sur les plateaux de télé, Mélanie rayonne. « Pourtant, petite, j’étais un garçon manqué. J’avais horreur des justaucorps, je voulais le moins de paillettes possible. Maintenant je trouve que plus il y a de strass, mieux c’est. Et si Dior veut collaborer avec moi pour faire un justaucorps, je suis là ! » plaisante-t-elle. Un clin d’œil loin d’être anodin, tant le sport a évolué sur la question, permettant désormais aux gymnastes de porter des combinaisons couvrant les jambes à la place des traditionnels maillots échancrés. « L’Allemande Pauline Schäfer-Betz ne porte que ça et je trouve ça génial. C’est hyper important pour les jeunes filles d’avoir une alternative. »
Désormais, Mélanie a les épaules pour être un véritable « role model » lors des JO. Les Internationaux de France à l’Accor Arena, salle qui accueillera les épreuves olympiques, ont offert un premier aperçu. À chacun de ses passages, des milliers de fillettes ont crié son nom, le public tapant des pieds au point de faire trembler les tribunes. « C’est tellement mignon, mais c’est tellement déstabilisant aussi ! J’ai envie de leur dire merci, de réussir pour elles, même si mon coach mental me dirait qu’il faut que je réussisse d’abord pour moi », glisse la jeune femme. Quadruple championne d’Europe, elle sait qu’elle a le niveau pour être sur le podium. La performance compte, bien sûr, mais elle veut aussi « vivre tous les instants à fond, être la vraie Mélanie, pas juste un robot formaté à réussir ». Avec impatience, elle attend le moment où son équipe fera son entrée sous les acclamations du public. Elle s’arrête, visualise la scène et souffle : « Rien que d’y penser, j’ai des frissons. »
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