Attentat de 2018 – Interview de l’otage sauvée par Arnaud Beltrame : « Je ne crois pas à un sacrifice volontaire »

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Elle s’est cachée des médias durant six ans. Julie Grand – un nom d’emprunt – est l’otage de l’attentat du supermarché de Trèbes qui doit sa vie à Arnaud Beltrame. Le 23 mars 2018, alors âgée de 39 ans, elle était derrière son comptoir d’accueil lorsque le terroriste Radouane Lakdim a mené l’atta­que armée qui a coûté la vie à trois personnes, dont le gendarme héroïque. Alors que le procès où comparaîtront sept complices présumés s’ouvre le 22 janvier, cette mère de famille publie « Sa vie pour la mienne » (éd. Artège) dans lequel elle rend un ­hommage poignant à son sauveur.

ELLE. Pourquoi avoir attendu si longtemps pour témoigner ?

JULIE GRAND.  J’avais envie de m’exprimer depuis quelques années déjà, mais je n’en étais pas capable. Après l’attentat, j’ai vécu une séparation difficile avec mon compagnon d’alors. La rencontre en 2021 avec celui qui est devenu mon mari m’a apporté la sérénité nécessaire pour écrire. Et puis, à l’approche du procès je ne voulais pas laisser à d’autres le soin de parler pour moi. Dans les mois qui ont suivi l’attaque, la presse a publié des extraits de mes procès-verbaux d’audition sans mon consentement, je l’ai très mal vécu. Ce livre est une façon de me réapproprier mon histoire.

ELLE. Vous êtes ingénieure de formation, comment êtes-vous devenue hôtesse d’accueil ?

J.G. Au moment de l’attentat, j’avais 39 ans et j’étais employée au Super U depuis un an. Auparavant, je travaillais pour de grandes entreprises, avec des missions d’analyse qui m’occupaient l’esprit en permanence, y compris le week-end. Quand ma fille est née, j’ai eu envie de souffler. J’ai d’abord pris une année sabbatique, après quoi j’ai cherché un emploi qui me laisserait du temps pour ma famille, mais je n’ai rien trouvé qui corresponde à mes qualifications. J’ai fini par proposer mes services au supermarché de Trèbes, qui était celui où je faisais habituellement mes courses.

ELLE. Vous êtes derrière votre comptoir d’accueil lorsque Radouane Lakdim pénètre dans le magasin…

J.G.  Je ne le vois pas entrer.  J’entends d’abord un claquement qui ressemble au bruit d’une palette qui chute au sol. Au deuxième claquement, des clients se mettent à courir.  Je lève la tête et j’aperçois un homme tenant un pistolet en l’air et qui crie « Allahu akbar ! » Il vient d’abattre un collègue et un client qui se trouvaient aux caisses, mais je ne le sais pas encore à ce moment-là. Je me baisse et je file à quatre pattes dans le bureau situé derrière mon comptoir. Le terroriste a dû me voir car il entre dans la pièce quelques secondes après et me lance : « Ah, voilà mon otage ! Allez, sors de là, je ne te ferai pas de mal, on va juste appeler les flics. »

ELLE. Vous appelez le 17 à sa demande et, en attendant l’arrivée des forces de l’ordre, une improbable conversation s’engage…

J.G. Radouane Lakdim m’explique qu’il est en « mission », qu’il vient venger ses frères morts en Syrie. J’arrive à me convaincre que j’ai affaire à un petit délinquant qui tire des balles à blanc. C’est sans doute ce déni qui me permet de conserver mon calme. Il me demande si j’ai des enfants, me parle de sa mère, de ses sœurs. Je perçois là un résidu d’humanité qui me donne l’espoir de m’en sortir vivante. J’essaie de me montrer respectueuse sans pour autant lui donner raison. Quand il me dit qu’il est prêt à mourir en martyr, je lui réponds : «  Eh bien moi, je ne suis pas prête à ça.  

ELLE. Un premier peloton de cinq gendarmes arrive, suivi par Arnaud Beltrame…

J.G. Il n’entre pas tout de suite. Les cinq gendarmes qui le précèdent sont nerveux, ils avancent dans notre direction et nous tiennent en joue. Le terroriste se glisse alors derrière moi et pointe son pistolet sur mon crâne. La situation se tend. Une voix surgit alors : « Vos gueules ! Reculez, je prends ! » C’est Arnaud Beltrame. Au contraire de ses collègues il apparaît calme et sûr de lui. Le terroriste lui dit qu’il n’a qu’à prendre ma place. Beltrame accepte et s’avance vers moi en reformulant sa proposition : « La petite dame n’y est pour rien, prends-moi à sa place. » Radouane Lakdim me laisse alors partir, et je sors du magasin par la réserve avec le sentiment que l’histoire va bien se terminer.

ELLE. Ce n’est pas le cas…

J.G. Je n’apprends la mort d’Arnaud Beltrame que le lendemain matin à mon réveil. Une immense colère m’envahit. Comment la situation a-t-elle pu déraper à ce point ? Je ne crois pas à l’idée d’un sacrifice volontaire. Arnaud Beltrame m’a donné l’image d’un grand professionnel qui agissait de manière pragmatique. Il voulait me sauver la vie, mais prendre ma place était aussi une manière de reprendre le contrôle de la situation, d’apaiser la tension qui était brutalement montée d’un cran. Je demande et obtiens l’autorisation de voir son corps au funérarium. C’est une épreuve très douloureuse mais j’ai besoin de lui dire au revoir et merci.

ELLE. Comment allez-vous presque six ans après ?

J.G. Je n’ai pas achevé ma reconstruction et je n’ai toujours pas repris d’activité professionnelle. Quand j’arrive dans un lieu public, je commence par repérer un endroit pour me cacher ou par où m’enfuir. J’ai aussi dû faire face à une séparation difficile qui m’a obligée à solliciter les services sociaux pour me loger. Alors que j’étais au fond du trou, j’ai pris contact avec un chanoine qui comptait Arnaud Beltrame parmi ses fidèles. Nos échanges m’ont fait beaucoup de bien. Moi qui étais une athée convaincue, j’ai intégré une communauté de croyants qui a conduit à mon baptême en avril 2023. Ce n’est qu’après cette conversion que je me suis sentie digne de me rendre sur la tombe d’Arnaud Beltrame. 

ELLE. Qu’attendez-vous du procès ?

J.G. Je ne sais pas. Je ressens encore une grande colère à l’idée qu’un homme de la valeur d’Arnaud Beltrame ait perdu la vie pour sauver la mienne. Entre le moment où il a crié « Assaut ! Assaut ! » et l’intervention du GIGN, pourtant déjà présent sur place, huit minutes se sont écoulées. J’aimerais comprendre pourquoi il a fallu autant de temps. J’espère surtout qu’à l’issue de ce procès je ressentirai une forme d’apaisement et de soulagement.   

« SA VIE POUR LA MIENNE », de Julie Grand (éd. Artège).

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