Exclusif. – Stéphanie Khayat, une des accusatrices de PPDA : « Enfin, on nous a entendues »

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Si c’était à refaire, oui, oui, elle foncerait. Même si cette plainte pour viol contre PPDA déposée il y a trois ans lui a coûté sa famille et une partie de sa vie d’avant. Et lui procure parfois ce sentiment violent d’être réduite à une victime. Alors que PPDA vient enfin d’être mis en examen dans l’affaire Florence Porcel, Stéphanie Khayat prend la parole avec la délicatesse d’une plume et une détermination d’acier dans le regard. Cette femme élégante et cultivée confie ce que cet événement peut changer pour elle et pour toutes les femmes qui ont porté plainte contre PPDA. Elle revient sur le chemin parcouru et les espérances toujours intactes. Ça s’appelle la bravoure. Écoutons-la.

ELLE. Comment avez-vous appris la mise en examen de PPDA ?

Stéphanie Khayat. Par une alerte des médias, car nous n’étions averties de rien ! C’est quand même un truc énorme… Nous qui nous battons depuis trois ans et sommes devenues inséparables, nous nous sommes immédiatement appelées en FaceTime. Et, pour celles qui le pouvaient, on s’est retrouvées chez Hélène Devynck [l’une des accusatrices, ndlr]. Nous avons fêté cet événement qu’on n’attendait pas. Qu’on n’espérait même pas ! Cela a été une soirée improvisée et joyeuse, nous avions besoin d’être ensemble.

ELLE. Qu’est-ce que cette mise en examen symbolise pour vous ?

S.K. C’est une étape. Enfin, on nous a entendues. Cela fait trois ans qu’on attend qu’il se passe quelque chose, que la justice réagisse. Et je parle au nom de nous toutes, victimes de PPDA. Nous sommes quatre-vingt-dix femmes à raconter la même histoire, dont quarante-cinq à avoir témoigné devant les autorités judiciaires, et nous avions l’impression que la justice était gelée.

Nous sommes quatre-vingt-dix femmes à raconter la même histoire

ELLE. Vous, vous faites partie des « classées sans suite » ?

S.K. Oui, j’appartiens à la première vague de femmes à avoir porté plainte contre PPDA. Nous sommes vingt-deux, vingt-deux classées sans suite parce que les faits sont prescrits. L’enquêteur a clos le dossier en qualifiant notre agresseur de prédateur sexuel usant d’un même mode opératoire particulièrement cruel, mais, jusqu’à présent, la justice n’avait pas cru bon d’aller plus loin. Certes, les faits étaient prescrits, mais elle avait tout à fait la possibilité de continuer à enquêter.

ELLE. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi PPDA a été mis en examen ?

S.K. Il a été mis en examen dans le cadre de l’instruction sur les viols que dénonce Florence Porcel. L’enquête peut aboutir à un procès aux assises, ou à un non-lieu, et Florence pourra encore faire appel. S’il y a un procès aux assises, nous serons appelées à témoigner. C’est évidemment ce que nous souhaitons. Depuis trois ans, un procès, c’est tout ce que nous voulons. En parallèle, une deuxième enquête préliminaire est en cours : plus d’une vingtaine de femmes ont encore témoigné comme nous l’avons fait.

ELLE. Pensez-vous qu’il y a eu un déclencheur particulier pour que la justice prenne cette décision alors que personne ne s’y attendait ?

S.K. On l’ignore totalement ! Tout ce que l’on sait, c’est que le parquet a demandé un non-lieu et que les juges d’instruction ont refusé, puis demandé la mise en examen. C’est rare, je crois. Ça montre que certains magistrats veulent que ça bouge. Cela prouve qu’il y a un faisceau de présomptions suffisamment graves. Et cela prouve aussi que la défense de PPDA, qui consiste à dire qu’il ne s’est rien passé avec Florence Porcel, ne tient pas la route une seconde. C’est impossible qu’il ne lui ait pas fait le coup du plateau.

ELLE. De quoi s’agit-il ?

S.K. Des dizaines de femmes ont raconté le même scénario : une invitation à assister au Journal de 20 h, puis un rendez-vous dans son bureau, suivi d’une agression. Il est impensable qu’il se soit transformé en gentleman avec Florence. Il nous aurait toutes agressées, sauf elle ?

ELLE. Peut-on parler de victoire ?

S.K. On n’en est pas là, mais c’est une immense étape de franchie. Malgré les tribunes, nos témoignages dans ELLE, la une de « Libé », l’émission de Mediapart, « Impunité », le livre d’Hélène Devynck, la justice n’avait pas bougé. Par moments, on se disait que c’était vraiment beaucoup de bruit pour rien, même si aujourd’hui plus personne ne le croit innocent. Quand j’ai vu que, pour Depardieu, il a suffi d’une image à la télévision pour que tout le monde découvre son vrai visage et se détourne de lui, c’est terrible à dire, mais j’ai éprouvé comme une forme de jalousie. Peut-être est-ce parce qu’il parlait d’une enfant, et que, nous, nous sommes des adultes…

ELLE. On a beaucoup dénoncé le tribunal médiatique, mais, pour vous, ce tribunal a été salutaire…

S.K. C’était surtout le seul moyen pour que l’on entende nos histoires. Mais je l’ai payé très cher.

ELLE. Quel est-il, ce prix à payer ?

S.K. D’abord, c’est être réduite au statut de victime. Et il a bon dos, ce statut de victime… Si vous avez des emmerdes au bureau, que vous êtes de mauvais poil ou déprimée, c’est parce que vous êtes une victime ! En ce qui me concerne, tout lien a été rompu avec ma famille. Il a fallu que je m’en crée une autre, c’est ce groupe d’inséparables dont je vous ai parlé.

ELLE. Pourquoi votre famille vous a-t-elle tourné le dos ?

S.K. J’ai attendu en vain un soutien. Mon père me disait : « Tu nous en demandes trop. » Moi, j’aurais simplement voulu un petit SMS pour me dire « On pense à toi » le jour où je suis allée témoigner… Ce message, je l’ai aussi espéré suite à l’annonce de la mise en examen… La plupart d’entre nous ont vu leur vie privée ou leur vie professionnelle exploser. Plusieurs ont divorcé dans le mois qui a suivi les plaintes, des couples se sont séparés. Ce n’est pas facile de parler aux enfants non plus. Mais, parfois, il y a aussi des belles histoires. L’une d’entre nous est venue nous voir pour la première fois avec sa fille de 20 ans qui a lancé : « Je tenais à vous dire que ma mère est une héroïne ! »

ELLE. Cette mise en examen signifie-t-elle la fin de l’impunité ?

S.K. C’est une première brèche. En espérant qu’elle conduise à un procès. S’il y a un procès, c’est le #MeToo français du siècle ! Car, jusqu’à présent, comme l’a dit Hélène Devynck dans son livre : à partir d’un certain niveau de célébrité, aucun Français n’a jamais été condamné pour violences sexuelles.

ELLE. Qu’attendez-vous de la justice ?

S.K. L’important, pour moi, c’est qu’il y ait un procès. Qu’il aille en prison ou pas, je m’en fiche. Je voudrais témoigner devant la justice, face à lui, les yeux dans les yeux.

Je voudrais témoigner devant la justice, face à lui, les yeux dans les yeux

ELLE. Vous dites avoir mis du temps à mettre le mot viol sur ce qui vous est arrivé, pourquoi ?

S.K. C’est le policier auprès duquel j’ai témoigné qui m’a dit : « Stéphanie Khayat, ce que vous me racontez, ça s’appelle un viol. » Moi je pensais naïvement que mon histoire ne tenait pas trop la route car j’ai accepté de travailler avec lui après, et, pour être honnête, je ne savais pas qu’une fellation était un viol. Le policier, je lui ai fait répéter quatre fois… C’est lui qui m’a fait comprendre qu’un viol, ça ne se passait pas uniquement dans un parking sombre avec une arme… Aujourd’hui, c’est nous qui mettons ce mot sur les histoires des autres, des femmes qui viennent se confier à nous. C’est une chaîne de solidarité incroyable, avant, on ne parlait pas de tout ça. Et puis on se motive, les unes les autres.

ELLE. À quoi ?

S.K. À continuer ! Il arrive que l’une d’entre nous craque : on a fait ce qu’on devait faire, on passe à autre chose. Ras le bol d’être seulement une victime ! Mais non, on se dit qu’il faut continuer le combat. Nous aimerions qu’une femme, dont le viol n’est pas prescrit, accepte de porter plainte.

ELLE. Ce qui pourrait tout changer ! Pourquoi ne voudrait-elle pas porter plainte ?

S.K. À cause des projecteurs, des emmerdes, des calomnies, et cela se comprend ! Je suis partie au front sans savoir ce qui m’attendait, j’ai témoigné avec une franchise absolue sans imaginer que mon témoignage prendrait tant d’importance.

ELLE. Si PPDA était en face de vous, que lui diriez-vous ?

S.K. Une copine d’une copine l’a croisé un jour dans une fête. Elle l’a regardé dans les yeux et lui a dit : « Pauvre type ! » Derrière elle, c’est comme si on était quatre-vingt-dix femmes à lui balancer : « Pauvre type ! » Mais, bon, personne ne lui a demandé de rendre sa Légion d’honneur, alors que les condamnations qu’il a déjà le permettraient parfaitement.

ELLE. Avez-vous le sentiment, malgré tout, que la société a évolué ?

S.K. Oui, on n’est plus des pestiférées ! Mais pour que les choses changent réellement, il faudrait qu’elles changent tout en haut. On vit dans une société où le président de la République a parlé d’inquisition à propos de la parole des femmes. Où le chef de l’Ètat est fier de Depardieu et n’a pas un mot pour les victimes de l’acteur.

ELLE. Est-ce que la honte a changé de camp ?

S.K. Oui !

ELLE. Et la peur ?

S.K. J’espère !

ELLE. Qu’est-ce qui vous lie toutes ?

S.K. L’ombre de PPDA n’est plus là parmi nous. On est parties en vacances ensemble, c’était magique. Ce qui nous lie aujourd’hui, ce n’est plus cet homme, mais la fierté d’un combat partagé et des liens plus forts que tout.

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