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Les indices collectés et le contexte dans lequel s’est produit le crime dessinent une première esquisse du meurtrier. Qu’il soit touriste ou riverain, le tueur résidait dans les environs du camping de Carcans-Plage autour duquel gravite toute l’affaire. Il ne connaissait pas sa victime ou la côtoyait depuis peu, Silja n’ayant noué sur place aucune relation amicale. Il a agi par opportunisme plutôt qu’en suivant un plan mûrement réfléchi car la dune, moins accessible que la plage, n’est pas non plus exempte de promeneurs, surtout en haute saison. « Il », puisque c’est en priorité un homme qui est recherché. Celui qui, juché au sommet de la dune, observait Silja dessinant sur le sable au soleil couchant. Le témoin allemand et son épouse ont décrit un individu de 19 ou 20 ans, mince, environ 1,80 mètre, portant un T-shirt et un bermuda sombres, les cheveux bruns assez courts. Le couple s’est suffisamment attardé sur l’intrus pour accrocher son regard, mais trop furtivement pour établir un authentique portrait-robot. Aussi imprécise soit-elle, cette description pourrait correspondre à l’un des quatre étudiants parisiens avec qui Silja s’est baignée avant de disparaître. Tous constituent a minima des témoins précieux. Quand les gendarmes se présentent à l’emplacement 111 le dimanche en début d’après-midi, les deux tentes igloo du groupe ont l’air abandonnées. Les amis ont quitté les lieux en voiture le samedi à la mi-journée en laissant leurs affaires et ne sont pas revenus depuis, indique le voisinage. La frustration est d’autant plus grande que le registre du camping, tenu de manière anarchique par son gérant, ne permet pas de s’assurer de l’identité des occupants. Départ précipité ou provisoire ? Dans le doute, les gendarmes perquisitionnent les deux tentes sans attendre. Une guitare sèche, une planche de surf, des nattes de plage, des vêtements d’été, un paquet de tabac à rouler… Rien d’intéressant. À 20 h 30, un de leurs collègues posté à l’entrée du camping avise une Polo occupée par quatre jeunes qui se présentent comme des clients, emplacement 111. Ils sont aussitôt conduits à la caserne de Carcans pour être auditionnés. Un tapissage est organisé à la hâte dans la salle des fêtes du village. Posté devant une fenêtre à l’extérieur du bâtiment et caché par la pénombre, le touriste allemand reconnaît l’un d’eux, Valentin, comme le garçon de la dune. Alors que les auditions comme simples témoins ont commencé, la bande de copains est placée en garde à vue, et l’ADN de chacun prélevé.
Lisez les deux premiers épisodes :
Meurtre dans les dunes de Carcans 1/5 : « Silja avait 18 ans »
Meurtre dans les dunes de Carcans 2/5 : « Un mode opératoire d’une cruauté absolue »
Une dispute avec ses parents
Étudiants dans la même école de commerce, les quatre amis sont arrivés le mercredi précédent. Le vendredi vers 14 heures, alors que Valentin jouait de la guitare entouré de ses camarades, une jeune femme tenant dans la main une tomate entamée s’est approchée du groupe et a demandé dans un français mâtiné d’accent allemand si elle pouvait s’asseoir pour écouter. Ils l’avaient déjà aperçue avec ses parents et connaissaient même son prénom : elle l’avait écrit dans le sable non loin de leur tente avant de les aborder. Pendant que le jeune homme jouait, elle avait le regard vagabond, comme si la mélodie avait déverrouillé l’accès à un vieux souvenir enfoui. Tandis que les garçons passaient à table, elle est restée assise là, observant le repas sans se mêler à la conversation. Tout juste a-t-elle raconté s’être disputée avec ses parents. Quand on lui a demandé son âge pour savoir si elle pouvait partager un verre d’alcool, elle a répondu qu’elle prenait de toute façon un traitement lui interdisant de boire.
Après le déjeuner, les campeurs ont annoncé à haute voix qu’ils allaient se baigner. Sans un mot, Silja est partie se réfugier dans la tente familiale. À la surprise générale, elle est réapparue cinq minutes plus tard en maillot. « On y va ? » a-t-elle lancé. Une fois les serviettes étendues, les garçons voulaient d’abord paresser sur le sable, alors Silja, impatiente, s’est jetée seule à l’eau. Quand elle en est sortie, elle s’est approchée par erreur d’un autre groupe de jeunes provoquant les rires des Parisiens qui lui ont fait de grands signes pour qu’elle s’aperçoive de sa méprise. Le reste de l’après-midi, Silja a alterné entre jubilation infantile – jusqu’à faire le poirier – et vague à l’âme. Elle n’a pas beaucoup parlé, répondant aux rares questions qui lui étaient posées avec plusieurs secondes de décalage, comme si son esprit égaré devait d’abord retrouver le fil de la conversation. À 18 heures, Silja a subitement rangé ses affaires en prétendant qu’elle devait rentrer au camping pour le dîner. En la voyant s’éloigner, les quatre amis ont pensé que c’était une drôle de fille, dans le sens « étrange ». Et qu’elle était jolie.
Sa dernière soirée
Le récit des jeunes campeurs sur le déroulé de la soirée est raccord. À leur retour de la plage, ils ont reçu la visite de Cäcilia Trindler, inquiète. Elle voulait savoir s’ils savaient où était sa fille. « Aucune idée », ont répondu les garçons. Ils ont ensuite passé la soirée dans une discothèque de Lacanau et sont revenus se coucher vers 3 heures. Le samedi matin, les fêtards ont été réveillés à 11 heures par le rotor de l’hélicoptère de la Sécurité civile qui survolait la dune à faible altitude. Comme prévu dans leur programme, ils ont ensuite pris la route pour passer le week-end à Bayonne. C’est en revenant à Carcans le dimanche soir que les gendarmes les ont cueillis. Les auditions menées séparément ne révèlent aucune contradiction entre les versions, et personne n’a faussé compagnie à ses camarades. Les quatre étudiants n’ont pas de casier judiciaire, pas davantage de mobile. Le lundi après-midi, après vingt heures de garde à vue et sur ordre du parquet, tous sont laissés libres.
Quelques heures plus tard, l’expert bordelais en analyse génétique transmet deux informations capitales au procureur qui suit le dossier. Les prélèvements ADN effectués sur le corps de Silja ont révélé la présence de deux profils génétiques. L’un provient de résidus de sperme, l’autre de sang coagulé retrouvé sous les ongles de la victime. Ces deux profils sont identiques. L’autre nouvelle, c’est que cet ADN n’appartient ni à Valentin ni à aucun de ses trois camarades.
Dans les jours qui suivent cette poussée d’adrénaline, les gendarmes multiplient les pistes sur la foi de témoignages plus ou moins étayés. Trois portraits-robots correspondant à trois hommes repérés par des vacanciers pour leur attitude suspecte – voyeurisme, vagabondage, tentatives de vol – vont entraîner une dizaine de gardes à vue et autant de prélèvements génétiques vains. Lorsque le dossier est transmis à une juge d’instruction, les investigations prennent une nouvelle dimension. La magistrate ordonne que soient identifiés tous les hommes français ou étrangers de 16 à 70 ans ayant séjourné dans une location de vacances, quelle que soit sa nature, entre le 15 juillet et le 15 août, dans un rayon de vingt kilomètres autour de Carcans-Plage. Tous devront ensuite être contactés, auditionnés et se soumettre à un prélèvement ADN. Les enquêteurs savent que cette vaste opération de ratissage va mettre des mois, voire des années à aboutir.
Les parents interrogés
Le scénario privilégié d’un meurtrier opportuniste n’est pas le seul envisagé. Silja a pu être victime d’un membre de son entourage qui aurait profité de ses vacances en France pour passer à l’acte, et ainsi brouiller les pistes. Dans ce cas, le mobile si mystérieux du crime de la lycéenne serait d’ordre privé, tapi dans un recoin de son passé.
Le 6 octobre, deux mois après les faits, la juge d’instruction adresse une commission rogatoire internationale aux autorités judiciaires helvétiques. Un mois plus tard, trois gendarmes se rendent en Suisse pour assister à une série de vingt-cinq auditions. Famille, amis, camarades de classe sont interrogés sur la personnalité de Silja, ses habitudes, ses amours, ses zones d’ombre, cet état dépressif chronique dont ont parlé les époux Trindler aux premières heures de l’enquête. Eux-mêmes sont à nouveau longuement entendus. Ulrich, le père, ressort des quatre heures d’entretien avec le sentiment désagréable que les enquêteurs le soupçonnent, à tort, d’avoir caché quelque chose qui pourrait les intéresser. Ils ont pourtant raison.
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