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À Tahiti comme ailleurs, les surfeurs appellent ça « être avalé par la vague ». Depuis plusieurs semaines, Anne Hidalgo se trouve acculée, sommée de s’expliquer sur son déplacement dans le Pacifique sud, une controverse qui menace d’engloutir son deuxième mandat. « Trop, c’est trop », peste la maire de Paris dans son vaste bureau de l’Hôtel de Ville, où elle recevait ELLE en décembre. Le décor, ébouriffant – 155 mètres carrés de cristal, de marqueterie et de dorures – est timidement chauffé, économies d’énergie obligent. Anne Hidalgo a froid. Elle frissonne, se frotte les bras. On hésite à lui demander d’emblée si les jet lags à répétition l’ont rendue plus sensible aux rigueurs de l’hiver.
L’élue était d’ailleurs à Dubaï où avait lieu la COP28, un séjour écourté à cause de l’attentat survenu près de la tour Eiffel, le 2 décembre. Pas question, cette fois, de donner l’impression de déserter la capitale… Car la polémique sur son voyage mi-privé, mi-public en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie, entre le 16 octobre et le 5 novembre, flambe encore. Face à cette controverse, qu’elle juge « incroyable » et qualifie de « harcèlement », la maire de Paris semble plus indignée qu’abattue. Et elle mise sur des JO réussis pour mettre fin à la nouvelle lame de « Hidalgo-bashing ». « On ne peut pas s’habituer à ça, je ne suis pas surhumaine, confie-t-elle. Mais je refuse pour autant de me victimiser. »
Le doux et le dur, le plat et le tranchant cohabitent chez cette femme de 64 ans, qui concentre sur sa personne un niveau de haine inédit dans la vie politique. Elle répond aux questions par des phrases longues et pleines d’incidentes, on s’y laisse envelopper avec une pointe d’ennui. Puis des éclairs traversent ses yeux noirs, et elle passe à l’attaque : contre l’attitude « trumpienne » de Rachida Dati ou le sexisme de certains journalistes, trop pressés de renvoyer les femmes politiques à leurs « problèmes d’hormones ». « Je ne veux pas qu’on touche à ma famille. Là, je deviens féroce. »
Un déplacement qui cause problème
Anne Hidalgo était loin d’anticiper que ce déplace- ment causerait un tel grabuge. À l’origine de ce voyage, plusieurs invitations d’élus de l’île des Pins, en Nouvelle-Calédonie, où se trouve un cimetière de communards, ainsi que celle du président de la Polynésie française, Moetai Brotherson, reçu en juin dernier à l’Hôtel de Ville. Elle pense les honorer avant que son agenda ne soit monopolisé par les JO. Après tout, la Mairie de Paris possède une délégation aux outre-mer, d’où sont originaires une partie importante des agents de la Ville. Heureux hasard : le gendre d’Anne Hidalgo a été muté comme professeur en Polynésie. Le déplacement officiel sera l’occasion d’enchaîner sur deux semaines de vacances en famille sur l’île de Raiatea. Les billets sont pris début juillet 2023. Pensant se rendre ainsi irréprochable, la maire utilise ses deniers personnels pour prendre son billet retour, acheté à la compagnie low cost French Bee. Trois mois et demi plus tard, les valises de la maire et de sa délégation sont prêtes.
Problème : le moment d’un déplacement sous les tropiques paraît loin d’être opportun. Le Moyen- Orient est à feu et à sang depuis l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre. La France connaît une vague d’actes anti- sémites, avec des étoiles de David taguées sur les murs de certains immeubles parisiens. Le terrorisme frappe à nouveau la France, avec l’assassinat du professeur de français Dominique Bernard, le 13 octobre, à Arras. Mais Anne Hidalgo n’entend pas renoncer à son déplacement à 16 732 kilomètres de Paris.
On assiste à un burn out politique
D’après le journal « Le Monde », ses trois principaux conseillers auraient tenté alors de la dissuader d’embarquer – ce que les intéressés démentent. Sur place, Anne Hidalgo et sa délégation de six personnes enchaînent les rencontres, avec le maire de Papeete ou le président de la Polynésie française. Mais la maire renonce à se rendre sur le site de l’épreuve de surf de Teahupoo à cause de tensions locales. Dommage : c’était, en France, le motif avancé dans la presse pour justifier ce voyage.
Critiques, attaques, menaces
À son retour à Paris, la polémique prend de l’ampleur. Rachida Dati, l’une de ses plus virulentes opposantes, s’interroge sur la « légalité » du déplacement. Sylvain Maillard, chef de file des députés Renaissance, saisit même le procureur de la République. Interpellée dans la foulée au conseil de Paris, Anne Hidalgo dresse un parallèle maladroit avec un déplacement effectué à Auschwitz. « Elle est en plein craquage, on assiste à un burn out politique, constate, avec le recul, David Alphand, élu de droite à Paris. Cette affaire est un point de bascule : la maire n’est plus seulement contestée pour sa politique, mais aussi pour son éthique personnelle en tant qu’élue. » Les conseillers de Paris de l’opposition font de cette affaire le symptôme de l’usure d’Anne Hidalgo après vingt-deux ans de présence dans l’exécutif municipal. Mais aussi d’une gestion solitaire et déconnectée.
La maire de Paris, elle, n’esquisse pas le moindre mea culpa. « Le fait d’être une femme de gauche écologiste, élue et réélue, qui agit pour sa ville et ses habitants, et dont le travail est reconnu à l’étranger, fait de moi une cible », martèle-t-elle. Et de brandir son casier judiciaire immaculé : « Cela fait vingt ans qu’ils cherchent des choses sur moi et qu’ils ne trouvent pas. Contrairement à d’autres, je ne suis pas mise en examen pour corruption et trafic d’influence. » Un tacle visant son opposante à Paris, Rachida Dati, poursuivie dans l’affaire Ghosn. Elle jure que les Parisiens qu’elle rencontre la soutiennent. « Vous avez un courage inouï de supporter ça », aurait-elle entendu l’autre jour. Ses proches louent sa combativité face à la violence des attaques, parmi lesquelles on compte d’innombrables menaces de mort.
L’armure en acier trempé de la maire serait d’ailleurs directement liée à ses convictions de gauche. « Anne est une warrior, une femme politique qui a des idées dans un monde où plus personne n’en a, admire son ancien adjoint au logement, aujourd’hui sénateur et élu de Paris Ian Brossat. La droite parisienne pro-bagnole et réac cherche à la salir car elle sait qu’elle est minoritaire sur le fond. »
Anne Hidalgo fait partie de ces grands fauves politiques qui redoublent d’énergie quand ils sont en danger. Après plusieurs semaines de flottement, la voilà repartie à l’offensive. Dans l’émission « Quotidien », sur TMC, elle cogne sur le gouvernement et les transports qui ne seraient « pas prêts » pour les Jeux. L’élue du 11e arrondissement relance la croisade anti-voitures avec une votation sur les SUV prévue en février, et quitte avec fracas X (ex-Twitter). Bye-bye les « haters » et les hashtags #SaccageParis. Attention, l’initiative n’aurait rien à voir avec le « Tahitigate ».
Projet en silence
Elle aurait mûri bien avant, lors de sa candidature à l’élection présidentielle de 2022, qui s’était soldée par un score calamiteux (1,7 % des voix). Elle a constaté alors que son discours était inaudible, la faute, pense-t-elle, aux trolls des réseaux et à leur « harcèlement » et leurs attaques « en meute ». « Les partis politiques ont été remplacés par les messages de haine sur les réseaux sociaux qui dictent leur loi », théorise celle qui se tient à distance de la vie du PS (selon le média en ligne « Politico », elle travaillerait très bien avec Gérald Darmanin, « un vrai politique qui sait passer des deals et tient parole », ou Laurent Nuñez, le préfet de police de Paris, « un homme exceptionnel »). Anne Hidalgo l’affirme : la haine en ligne pourrait signifier une possible « fin de démocratie ». « Anne a un côté pythie, elle sent les choses », glisse l’un de ses proches.
Elle ne dira rien avant la tenue des jeux Olympiques
Un flair qui lui a manifestement manqué avant son envolée tropicale. C’est que l’affaire du déplacement polynésien raconte sans doute autre chose. La maire de Paris aurait la tête ailleurs et ne sera probablement pas candidate à sa réélection pour un troisième mandat. Ses proches l’admettent à demi-mot : jamais une Hidalgo concentrée sur la prochaine échéance électorale n’aurait pris le risque d’un tel déplacement. Quand on l’interroge sur son dernier coup de cœur littéraire, elle évoque, consciente de l’ironie de ce choix, « Les Insolents », le roman d’Ann Scott. Ou l’histoire d’une quadragénaire parisienne qui, lassée par le tumulte de la vie dans la capitale, plaque tout pour aller vivre à la campagne… Après 2026, ses proches la voient mettre en orbite son grand projet d’une banque verte mondiale destinée à financer la transition écologique des métropoles. À gauche, son premier adjoint, Emmanuel Grégoire, trépigne, tout comme le communiste Ian Brossat, qui pense pouvoir tirer profit d’une notoriété plus importante. Rachida Dati reste bien installée dans son fauteuil d’opposante en chef. Tandis que chez les macronistes, on hésite à faire sauter la loi PLM, ce système de vote par arrondissement réputé favorable à la gauche parisienne.
L’édile assure qu’elle n’a pas encore pris sa décision et précise qu’elle ne dira rien avant la tenue des jeux Olympiques. Dans son bureau de l’Hôtel de Ville, un timide rayon de soleil perce depuis une cathédrale Notre-Dame toujours en convalescence. « L’idée fixe de mes opposants est que je ne puisse pas tirer bénéfice des jeux Olympiques », rumine la maire. Anne Hidalgo voit, au contraire, la réussite de l’événement comme une occasion rêvée de se remettre en selle. Et de mettre en lumière ce que seront, selon elle, les succès de ce deuxième mandat : un objectif de 450 kilomètres de pistes cyclables et la plantation de 170 000 arbres d’ici 2026, la transformation de la place de la Chapelle, les « rues aux écoles » pour lutter contre la pollution et les nuisances sonores, l’assainissement de la Seine… Sa première élection avait été marquée par l’ouverture contestée aux piétons des voies sur berges. L’image de Parisiens faisant des brasses dans la Seine – vieille promesse de Jacques Chirac enfin réalisée – pourrait être celle qui restera de son second mandat. Loin des eaux tumultueuses de Tahiti et de leurs dangereux rouleaux.
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